LA FONCTION ÉVALUATION EN ARCHIVISTIQUE

Deux types de principes fondamentaux constituent les assises théoriques de l’évaluation des archives, soit des principes généraux :

1) le principe du respect des fonds de Nathalis de Wailly (Duchein, 1977);

2) le principe des trois âges (Pérotin, 1961);

Les principes spécifiques, propres à la fonction d’évaluation :

1) la théorie des valeurs (Schellenberg, 1956);

 2) le principe de la contemporanéité des jugements concernant la valeur des archives (Jenkinson, 1965; Booms, 1972, 1987; Couture, 1999);

3) la considération des archives comme preuves privilégiées de toutes les activités des institutions de la société (Couture, 1999);

4) le respect des liens entre l’évaluation et les autres fonctions archivistiques (Couture, 1999);

5) l’équilibre entre les considérations liées à la création des archives et celles qui sont liées à leur utilisation (Couture, 1999);

6) l’équilibre entre les finalités d’utilisation administrative et les finalités patrimoniales (Couture, 1999).

Depuis les années 1970, la scène de la discipline archivistique contemporaine a été animée par un débat fructueux sur les approches d’évaluation des archives. Comme précisé par Cook (1999) «appraisal strategy, as distinct from appraisal theory […] provides a way or logic or means or methodology whereby the foregoing theoretical definitions of value may be implemented in working reality » (p. 8). Ces approches fournissent le cadre méthodologique au processus de détermination des valeurs attribuables aux archives (Cook, 1999). En Allemagne, la stratégie du Documentation Plan (Booms, 1972) vise à documenter l’ensemble des évènements et des personnes physiques et morales d’une société. Aux États-Unis, la Documentation Strategy (Samuels, 1986) s’intéresse à la documentation des fonctions principales de la société. Au Canada anglais, l’approche de la macro-évaluation (Cook, 1992b) suggère l’analyse du contexte institutionnel de création des archives en étudiant les structures de l’institution, ses fonctions, ses missions et ses activités.

Dans le même contexte canadien, l’approche centrée sur l’utilisateur (Eastwood, 1992b) est apparue. Cette dernière propose d’évaluer les archives en analysant leur contenu et leur utilisation. Enfin, au Québec, dans l’approche de l’évaluation intégrée (Couture, 1999), les valeurs des archives sont déterminées en fonction de l’analyse de leur contexte de création, de leur utilisation et de leur contenu. L’objectif ultime de toutes ces approches est par ailleurs le même : la constitution d’un patrimoine documentaire signifiant d’une société.

Au cours de la même période, les éléments du processus d’évaluation c’est à-dire les techniques, les instruments et les critères utilisés pour l’évaluation des archives ont également été améliorés. Plusieurs techniques d’évaluation ont été développées, dont l’analyse des besoins (Arès, 1999; Couture, 1999). Cet ouvrage traite des techniques et des instruments de gestion des archives. Nous y trouvons plusieurs aspects liés à la pratique de l’évaluation dont : le triage, ses lieux, ses moments et ses critères ; l’élimination après le triage ; les prescriptions légales et la question des délais de conservation et bien d’autres (Direction des Archives de France, 1970). En 1993, sous la direction de Jean Favier & Daniele Neirinck, la Direction des Archives de France publie un important ouvrage: La pratique archivistique française qui rappelle l’essentiel de la gestion des archives courantes, intermédiaires et définitives (Favier & Neirinck, 1993).

Les archivistes québécois Couture et Rousseau (1982a), dans leur ouvrage Les archives au XXe siècle : Une réponse aux besoins de l’administration et de la recherche, abordent plusieurs aspects liés au processus d’élaboration et de mise à jour du calendrier de conservation. Ils étudient aussi quelques méthodes de sélection (tri, échantillonnage, etc.). En 1996, les Archives nationales du Québec publient Normes et procédures archivistiques des Archives nationales du Québec dont le deuxième chapitre traite des critères de conservation, des critères d’élimination et comprend des précisions sur la technique de tri des documents selon les supports. Carol Couture et ses collaborateurs (1999) présentent à la communauté archivistique, dans le chapitre 4 de leur ouvrage Les fonctions de l’archivistique contemporaine, un éclairage important sur la fonction d’évaluation des archives : son processus d’application, ses étapes, ses techniques et instruments afférents. Du côté du Canada anglais, Barbara Craig produit, en 2004, un important ouvrage intitulé Archival Appraisal : Theory and Practice, dans lequel elle présente un survol intéressant des fondements théoriques de l’évaluation des archives, les approches et processus d’application basés sur les techniques, les instruments et les critères qui leur sont liés (Craig, 2004). William Saffady (2004) consacre deux chapitres (2 et 3) de son ouvrage Records and Information Management : Fundamentals of Professional Practice à l’étude de la préparation et la réalisation du calendrier de conservation (Retention Schedule) (Saffady, 2004). En 2005, Frank Boles rappelle dans son ouvrage Selecting & Appraising Archives & Manuscripts les fondements théoriques de l’évaluation et présente les différentes tendances pratiques qui en découlent.

Malgré le développement des trois volets (théories, approches et processus) de la fonction d’évaluation, l’apport de la normalisation, les efforts des diverses expériences des archives nationales dans plusieurs pays consentis pour le développement de l’évaluation des archives et les contributions considérables apportées par les ouvrages évoqués plus haut, la qualité des archives définitives n’a pas encore été étudiée de façon explicite. L’absence de recherches, de politiques, de normes et d’instruments sur la définition et la mesure des qualités attribuables aux archives définitives, qui caractérise la situation actuelle de l’archivistique contemporaine, engendre plusieurs conséquences négatives sous différents points de vue.

Du point de vue patrimonial, l’importance de l’évaluation des archives tient à son objectif premier qui est de constituer la mémoire d’une société à partir d’un matériel documentaire jugé pertinent. Or actuellement, il n’existe pas d’études qui permettent de vérifier à quel point les archives définitives atteignent cet objectif.

Donc on peut comprendre que tout d’abord, trois sources de littérature ont contribué à l’articulation de la définition des QADs et à leur précision. En plus des écrits sur la fonction d’évaluation des archives qui traitent de la notion de qualité dans la plupart des cas de manière directe, nous avons fait référence aux écrits sur la genèse du concept de qualité de même qu’à la littérature en sciences de l’information traitant des enjeux relatifs à la mesure des qualités.

Ensuite, nous avons pu proposer un cadre conceptuel permettant de définir les dimensions intrinsèques et extrinsèques des qualités des archives définitives issues d’une évaluation archivistique. Tel que démontré dans la revue de la littérature, plusieurs travaux en sciences de l’information se sont intéressés à l’étude de la qualité. Pour évaluer la qualité des données par exemple, plusieurs auteurs ont défini un cadre conceptuel qui subdivise un concept complexe en plusieurs dimensions couvrant un aspect ou une facette le concernant. Définir les dimensions et identifier les indicateurs sont les étapes élémentaires pour approfondir la définition d’un concept aussi complexe que la qualité. Cette phase de définition servait de base à la préparation des mesures, et ce en expliquant les concepts en dimensions représentées par des notions moins complexes et moins générales et suffisamment précises pour permettre l’identification des variables, éléments nécessaires pour compléter leur opérationnalisation.

Enfin, dans un premier temps et dans le cadre du prétest, 24 variables ont été identifiées pour tenter d’opérationnaliser 13 indicateurs spécifiques qui découlent de deux dimensions de qualité sur quatre définies dans le cadre conceptuel de la recherche. La réalisation du prétest et l’analyse approfondie de ses résultats ont conduit à la révision des variables et à l’ajustement de leur mesure. En somme, cette révision consistait à réduire les 24 variables en 14 variables retenues aux fins de cette recherche. Par souci de validité et étant donné l’avancement de la recherche dans le domaine de la qualité des archives et compte tenu de la nature exploratoire de la recherche de la mesure des qualités des archives définitives en particulier, nous avons choisi de réduire le champ de notre étude aux seules 14 variables. De plus, ajuster des aspects du test est une démarche tout à fait légitime, voire prévue dans le modèle du devis de l’étude, surtout qu’il s’agit ici de travail pionnier en matière d’adaptation du concept de qualité aux archives définitives.

Notre recherche, qui définit conceptuellement et mesure empiriquement les qualités des archives définitives issues d’une évaluation archivistique, apporte finalement trois contributions majeures au domaine archivistique.

Du point de vue théorique, elle propose un cadre conceptuel qui précise le concept de qualité des archives définitives permettant ainsi d’éviter des qualifications ambiguës quand il s’agit de qualifier les archives définitives que nous souhaitons avoir pour la constitution de la mémoire sociétale.

Du point de vue méthodologique, elle offre une méthode déjà testée pour mesurer la qualité des archives définitives issues d’une évaluation.

Du point de vue professionnel, enfin, elle permet d’évaluer les résultats de l’exercice de l’évaluation archivistique et de remettre en question la pertinence des archives retenues pour leurs valeurs secondaires (d’information ou de témoignage). Pour ce faire, elle offre l’instrumentation (les grilles de mesure du fonds, des dossiers et des pièces et le guide de leur application) et décrit la méthode qu’implique cette évaluation.

Par ailleurs, l’analyse et l’interprétation des résultats de notre recherche permettent de suggérer quelques pistes de recherche en lien avec la définition et la mesure des qualités des archives.

Premièrement, comme évoqué dans les limites de la recherche et malgré leur définition conceptuelle, trois indicateurs spécifiques de notre cadre conceptuel (le «Créateur», la «Compréhensibilité» et la «Repérabilité ») sur 13 sont restés sans mesures. Afin de compléter l’opérationnalisation de ceux-ci, il serait pertinent de mener une étude sur la révision de ces concepts, de façon à proposer une définition conceptuelle mesurable, développer les variables et tester leur mesurabilité dans le contexte des archives définitives.

En second lieu, une étude sur l’opérationnalisation des deux dimensions restantes du cadre conceptuel, soit la «Rareté» des archives définitives et leur «Représentativité» serait pertinente pour ainsi finaliser l’opérationnalisation de toutes les dimensions qui composent le cadre conceptuel de la recherche, en utilisant le même devis de recherche conçu à l’opérationnalisation de la «Preuve crédible » et de l’«Exploitabilité». En premier lieu, une vérification des définitions conceptuelles s’impose afin de les mettre à jour en intégrant les derniers écrits sur le sujet. Ensuite, l’identification succèdera avec la phase de leur prétest, après quoi le degré de leur validité pourrait être constaté.

Troisièmement, il serait intéressant de soumettre la définition des quatre dimensions de qualité ainsi que leur mesure à l’appréciation des professionnels ayant une expérience notable dans le domaine de l’évaluation des archives, et ce, par le biais d’une Échelle de Likert afin d’explorer leur degré d’accord avec les définitions conceptuelles et les mesures qui leur sont appliquées. Des entrevues semi-structurées peuvent être réalisées à partir du même échantillon de professionnels, afin de dégager une synthèse de leurs recommandations pour permettre d’établir le bilan des avantages et des points à améliorer dans la définition et la mesure des qualités des archives définitives.

Enfin, compte tenu de l’adaptabilité des deux dimensions de la «Preuve crédible» et de l’«Exploitabilité » qui pourraient convenir aux archives en général, cette étude fournit un fondement conceptuel pour développer la définition et la mesure des qualités des archives courantes et intermédiaires. Une étude sur la définition et la mesure des qualités des archives courantes et intermédiaires pourrait être envisagée. Une telle étude permettrait d’aider les services producteurs de documents à rationaliser la rétention des documents et optimiser ainsi la gestion de leurs documents actifs et semi-actifs. Pour ce faire, l’analyse et la révision des définitions des indicateurs spécifiques qui découlent de deux dimensions évoquées et développées initialement pour les archives définitives s’imposent. Cette révision se réalisera de manière à développer les variables qui conviennent à la mesure des archives courantes et intermédiaires. Le même devis de recherche utilisé dans notre étude pourrait servir de base à cette recherche.

 En guise de conclusion, nous avons réalisé cette recherche qui porte sur la définition et la mesure des qualités des archives définitives, au mieux de nos connaissances, pour permettre ainsi l’ouverture de la discipline archivistique à l’idée d’adapter le concept de qualité au contexte des archives. Cette recherche n’est qu’un premier pas dans l’exploration des différentes dimensions de qualités sous différents angles. En effet, beaucoup d’aspects restent à compléter et à approfondir : par exemple, les qualités des archives et des documents électroniques ainsi que les défis techniques et technologiques actuels constituent une problématique à traiter en priorité dans ce domaine de recherche. De plus, l’archivistique est désormais confrontée à des problématiques contemporaines comme les qualités des archives courantes et leur impact sur la performance des processus d’affaires ainsi que leur lien avec la sécurité des données, le tout sans perdre de vue le défi de la pérennisation des documents électroniques. Ce sont là des pistes de recherche pertinentes à creuser afin de garantir une meilleure gouvernance à nos ressources informationnelles. Aussi, nous souhaitons que cette étude sache susciter l’intérêt et la curiosité d’autres chercheurs en archivistique contemporaine